Des Maurice Audin par milliers

Lettre ouverte au Président de la République

d’Abdelkrim Bousseksou

Publié le mercredi 21 novembre 2018

Monsieur le Président,

Maurice Audin

Qu’il est beau ce 13 septembre 2018 pour la France et pour tous les hommes épris de liberté, de justice et de paix. Vous êtes ainsi entré dans l’histoire de l’humanité parce que pour la première fois, un État reconnaît son crime de son libre arbitre.

Je me permets de vous écrire parce que je suis directement concerné à plus d’un titre :

 En premier lieu parce que je suis né à Ighil Nith Malek, village de la commune de la Fayette qui va devenir à partir de 1956 un camp de concentration, et qu’un jour de 1958, je devais avoir 4 ou 5 ans, mon grand-père, mon père et mon frère aîné (toujours vivant) ont été arrêtés et torturés simultanément dans le poste militaire de ce village.
Je m’en souviens comme si c’était hier parce que ma mère m’avait envoyé apporter un morceau de galette et des figues sèches à mon grand-père et c’était un privilège grâce à la connivence d’un Harki, non volontaire, proche de la famille, mon grand-père étant autorisé à sortir dehors pour faire ses besoins.

 Ensuite parce que ma sœur aînée (toujours vivante) a perdu son mari, « disparu » peut-être comme Maurice Audin, (sous la torture) après avoir été arrêté dans le maquis.

 Enfin, parce qu’en 1989, en Algérie, j’ai échappé miraculeusement à la torture, toujours en « Question », pour avoir exprimé, en objecteur de conscience, mon refus de porter la tenue militaire dans le cadre de mon service militaire, tant que ceux qui ont torturé les enfants d’octobre 1988 n’auront pas été jugés. (Les enfants d’octobre est l’appellation des manifestants d’octobre 1988). En effet, je m’attendais au pire et j’ai même saisi Maître Ali Yahia ABDENNOUR, président de la ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, pour me défendre au tribunal militaire. Mais j’espérais aussi un service civil que j’ai demandé à Boualem BENHAMOUDA ET M’hamed YAZID qui supervisaient à l’INESG mon projet de monnaie maghrébine convertible -plus d’une décennie avant l’€uro

Mais seule la chance m’a sauvé : devant être incorporé au service militaire à la session de septembre 1989, l’avancement de mon projet de monnaie maghrébine et l’espoir d’un service civil m’ont mis en retard, en octobre j’ai obtenu un report de mon incorporation à janvier 1990 et le 12 décembre 1989, le Président de la République a décrété une amnistie pour les appelés de plus de 30 ans.
Dix jours après, j’ai demandé un congé sabbatique et suis revenu en France. (Pour la petite histoire de cette monnaie : à cause de menaces américaines de représailles, le projet de monnaie convertible maghrébine - classé secret défense – a été mis aux oubliettes. Messieurs BENHAMOUDA et YAZID sont partis sans dire au revoir et moi je n’ai pas eu la médaille Athir qui m’était promise. Trois ans après, M’hamed BOUKHOBZA, devenu directeur de INESG, avec qui on envisageait de reprendre le projet à l’été 1993, est assassiné le 22 juin 1993)

En octobre 1988, en Algérie, se sont déroulés des événements importants dans l’histoire universelle car pour la première fois, des civils, à mains nues, ont réussi à vaincre une armée et à la faire rentrer dans les casernes, événements passés inaperçus chez les historiens.

L’histoire universelle retiendra certainement un jour que les manifestations d’octobre 1988 en Algérie -comme, elle a retenu, dans les années cinquante, que la guerre de libération algérienne a permis à une vingtaine de pays africains de se libérer- ont été l’exemple déclencheur des événements en juin 1989 à Tian’anmen en Chine, puis fin 1989, de la révolution de velours en Tchécoslovaquie, la Hongrie, la chute du mur de Berlin etc.

Henri Alleg

C’est pour vous remercier de diffuser ces valeurs humaines universelles qui brisent tous les camps, que je vous écris de Ménilmontant (www.menil.info) d’abord parce qu’Henri Alleg, de son nom de combat, nous a plusieurs fois honorés de sa présence et y a même présenté son livre « La Question ».
Il aurait certainement aimé assister à votre décision et à votre visite du 13 septembre dernier.

Aussi parce que Ménilmontant, c’est mon village de renaissance après le camp de concentration d’Ighil Nith Malek.

A Paris, le 21 novembre 2018
Abdelkrim Bousseksou


En savoir plus :

 Site de l’Association Maurice Audin

Vidéo - Le président de la République s’est rendu chez Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, pour lui "demander pardon, au nom de la République française" et lui remettre une déclaration qui condamne l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie.

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