Ménilmontant

Nous avons appris l’expulsion des habitants...

Publié le mardi 31 octobre 2017

Nous avons appris l’expulsion des habitants de la petite ceinture de Ménilmontant et la destruction des quelques biens qu’ils y avaient rassemblé. Jeudi à 6h du matin, trois camions de police ont réveillé à coup de "On dégage !" et à grand renfort de chiens et de projecteurs la petite dizaine de personnes abritées sous les tunnels de la petite ceinture. Ils leur ont donné 10 minutes pour rassembler quelques affaires avant de les conduire au poste de police et de commencer la destruction des affaires restées sur place.

Les associations locales ont ainsi perdu tout contact avec ces personnes qu’elles côtoient et soutiennent au quotidien depuis plusieurs mois. Plus que des biens, c’est tout un tissu de relations sociales et locales lentement construites qui vient d’être détruit sous les yeux de ceux qui n’ont qu’elles. Après une matinée d’incertitude sur le sort qui leur serait réservé, la plupart de ces personnes sont ressorties du commissariat avec une convocation devant le juge dans le cadre d’une procédure d’expulsion du territoire national.

Nous avons rencontré ces habitants - réfugiés, SDF, sans-papiers ; bref, sans voix - lors de nos passages sur le terrain. Nous sommes en effet chargé·es - dans le cadre de nos études et en complémentarité des actions menées par les différents collectifs travaillant sur le terrain - de produire un diagnostic territorial. Celui-ci a pour objectif de permettre aux riverain·es et aux élu·es locaux d’engager la discussion sur le futur du lieu. Nous n’attendrons pas sa restitution pour vous en présenter certaines conclusions :

- Les riverain·es n’ont pas attendu le projet de réaménagement pour investir la petite ceinture. On dénombre en une journée le passage de plus d’une centaine de personnes. Nous y avons croisé une association d’activité pour personnes âgées qui y faisait une balade, des enfants qui y jouaient tous les jours, des personnes qui n’ont que ce lieu pour dormir, des adolescents qui y organisaient des soirées, des riverains qui y ont planté un potager partagé...

- S’il y a bien une préoccupation partagée par la plupart des riverain·es rencontré·es, c’est leur inquiétude quant à l’institutionnalisation à outrance du lieu. De la conservation de zones « sauvages » où les plantes poussent à leur gré à l’attachement à un lieu où il fait bon s’arrêter, une majorité d’entre elleux nous ont fait part de leur volonté de conserver la petite ceinture comme lieu « hors-ville », loin du bruit et des logiques sociales citadines.

- Les habitants de la petite ceinture font partie intégrante de cet investissement et de cette désinstitutionnalisation : le chien de A. est l’attraction de fin de journée des collégien·nes du coin ; nous avons assisté à des discussions parfaitement normalisées - et quotidiennes - entre les passant·es et les habitants de la petite ceinture... Quant aux enfants interrogé·es, à notre grande surprise leur première réaction est de s’inquiéter du sort des habitants de la petite ceinture. Ils seront ravis de savoir que leur projet de lieu de vie « pas trop près des tunnels pour que les gens puissent dormir » pourra désormais être installé où bon leur semble. Superbe leçon pour cette génération à venir.

Notons également que des gardes accompagnés de chiens veillent désormais à ce que l’accès à la petite ceinture - littéralement cadenassé - soit impossible. Force est de constater qu’il aurait suffit de 2 minutes sur le terrain pour que celleux ayant pris la décision d’expulser ses habitants se rendent compte qu’ils/elles contredisent par là les objectifs affichés du projet : Où est passée la volonté d’un lieu ouvert appartenant aux habitants ? Comment les collectifs chargés d’accompagner le processus de réaménagement de la petite ceinture peuvent-ils continuer de travailler ? Et comment le peuvent-ils d’un point de vue éthique lorsque, sur un projet présenté comme ouvert et fait par les habitants, une action violente est menée unilatéralement et sans avertissement sur certains d’entre eux ?

Ce matin nous avons le sentiment que, loin des préoccupations participatives mises en avant par les responsables politiques, ce projet apparaît de plus en plus fondé sur une volonté de gentrifier l’un des rares espaces encore « hors-ville » de la capitale.

La situation semble moins résulter d’une volonté délibérée des institutions impliquées dans le processus de réaménagement de la Petite Ceinture que d’un manque de communication entre leurs différents départements. Ce qui ne peut sembler que dysfonctionnement institutionnel mineur est pourtant à l’origine de la destruction d’une dizaine de vies : ce sont des années de travail des associations locales et une dizaine de parcours faits d’épreuves dont nous ignorons l’étendue et la gravité qui viennent brutalement et inhumainement, en une dizaine de minutes un jeudi matin, d’être anéanties.

Nous rappelons que cette décision intervient à l’heure où des dizaines de milliers de personnes - dont 500 enfants - passent toutes leurs nuits dans les rues de Paris tandis que plus de 100.000 logements vacants sont recensés dans la capitale. Nous n’oublions également pas que cette expulsion se déroule quelques jours avant le début de la trêve hivernale. Les personnes expulsées se retrouvent ainsi sans logements ni affaires aux prémices d’une période critique où les associations d’accueil sont débordées et où le froid fait en moyenne 50 morts par mois.

Nous insistons enfin sur le fait que la poursuite de l’utilisation des infrastructures de la Petite Ceinture comme abri pour ceux qui n’en ont pas n’est pas une fin en soi : s’il est immoral en 2017, en France, dans l’une des métropoles les plus riches du monde que des personnes en soient réduites à devoir vivre dans des installations à ce point insalubres, il est absolument honteux que ces mêmes personnes soient violemment expulsées de leurs lieux de vie sans qu’aucune solution ne soit proposée. Cette action de gentrification de l’espace urbain, où l’on traque la misère même lorsqu’elle se réfugie dans les tunnels de la petite ceinture, n’est pas acceptable. Expulser les habitants les plus précaires au titre de l’insalubrité de leur lieu de vie, sans solution de relogement, faisant fi du droit au logement pourtant reconnu comme universel, nous révolte. Aussi, nous exigeons l’abrogation de l’arrêté d’expulsion du territoire et la proposition de solutions durables de relogement aux expulsés de la petite ceinture.
Pour laisser la conclusion à plusieurs d’entre eux : « On vit là parce qu’y a pas le choix ».

 Sorbonne Ingénierie de la concertation PDF du communiqué

 http://sorbonne-concertation.fr

Partagez :
Publier un commentaire
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici