Un jour, Bouzid Benlaala s’est retrouvé avec une pioche dans les mains à Paris, celui des années 60. Il a fixé le plafond qu’il devait démolir et remarqué un dessin : une femme brune, qui joue sur un nuage. Sur le moment, ça l’a paralysé. Son chef de chantier l’a encouragé à se grouiller et c’est comme s’il le pressait d’appuyer sur une gâchette. L’ouvrier, arrivé d’Algérie quelques mois plus tôt, s’est senti bourreau : détruire pour toujours un endroit truffé d’histoires qu’il ne connaît pas et regarder des gens partir ailleurs, parce qu’ils n’ont pas le choix. L’exil, comme le sien.
On a rencontré Omar Benlaala, son fils, qui l’a fait parler un an pour en faire un livre, Tu n’habiteras jamais Paris, qui sort ce mercredi. Il y a le caractère exceptionnel de l’objet : un père de famille maghrébin, né en 1939, n’est pas souvent porté sur les confessions. Dans le cas des plus grands muets, une règle tacite s’installe avec les gamins, de laquelle découle une histoire qui tiendrait sur une paume : comme c’était dur au pays, il a fallu partir. Passé simplifié jusqu’à l’os : une majuscule, un point, même pas une respiration entre les deux - on croirait la légende d’un agent secret fait prisonnier. Et il y a le fond : Bouzid Benaala y raconte son premier pantalon en Kabylie, ce qu’il aurait voulu être et pourquoi il a quitté l’Afrique du Nord. Ce n’est pas tant le ventre qui l’a guidé, mais la tête. Au milieu des cailloux et de l’ennui, il craignait la folie plus que tout.
Amour
Omar Benlaala, 44 ans, est né à deux pas de Ménilmontant, où il a grandi et vit encore. Adolescent, il écrit des lettres de grand timide qu’il n’envoie pas à une camarade de collège, dont il est tombé amoureux. Rupture virtuelle : elle passe en seconde générale, lui est envoyé en lycée (...)