Mes quat’visions de Ménilmontant

De Christian Portet

Publié le dimanche 4 juillet 2021

1/ Mon regard d’avant y être venu

Pendant mes premiers vingt-cinq ans
Je n’ai ni vu ni connu Ménilmontant

Je m’en étais fait une idée romantique et littéraire... Vu les films avec Maurice Chevalier et écouté ses chansons : Les gars de Ménilmontant et surtout Ma Pomme, film qui me plut bien plus, bien sûr à cause du personnage qu’il y incarnait... J’ai lu sa biographie intrépide, ses aventures avec la Miss et le drôle de personnage qu’il fut en cette époque périlleuse dans Paris.
Puis la vie de la môme Piaf, écrite par sa sœur Momone. Toute sa vie riche se déroule à Ménilmontant. Je me suis ensuite plongé dans la biographie de cette même Momone et c’est seulement à partir de là que les images me sont venues... Une grande côte qui monte, monte ; des pavés ; des maisons grises, des milliers de petites cours intérieures remplies d’eaux usées mousseuses et de vermicelles trop cuits en leur milieu sur lesquelles s’ouvrent les fenêtres et les mansardes grises aussi.

Les femmes qui y passent leur journée s’apostrophent d’une fenêtre à l’autre, secouent les draps et la poussière dans un parfait ensemble lors de la matinée...
Parfois la cour est si étroite que l’on peut presque passer d’une chambre à l’autre rien qu’en tendant les bras... Pas d’intimité pour ces gens-là, le voisinage et la bignole se chargeant de vous faire connaître, de s’occuper de ce qui ne les regardent pas mais qui peuvent aussi vous défendre et faire front contre la maréchaussée ; l’extérieur et tout ce qui n’est pas du quartier... Les soucis se règlent en interne, pas besoin de syndic ni de fête des voisins pour faire connaissance et tout savoir de vous... Les marchands de quatre saisons se cachent auprès des arrêts de bus, pas encore abribus ; les figues de barbarie côtoient les melons, les oranges et les citrons.

Il fait bon vivre à Ménilmuche !

2/Vu en Vrai !

Les années 81 et des poussières (comme dirait le chanteur ) ;
un concours de la fonction publique qui me permet de monter à Paris pour un bon motif : les fameux « concours Mitterrand » qui furent une des premières mesures socialistes pour lutter contre le chômage ; je quittais alors volontairement et suite à un épisode psychiatrique mes 8 années de théâtre et de vie culturelle. Mes premiers pas dans Paris me mènent directement dans le bas de Ménilmontant, je travaille dans le haut.

Des années d’errance, entre les bars de bougnats encore en tabliers de charbonniers qui servent les demis baptisés à l’eau de vaisselle tant qu’on dirait des panachés ; des sandwichs au cantal et l’arrivée des couscous, des merguez et des thés à la menthe. J’ai des horaires décalés mais j’en trouve toujours qui sont ouverts je deviens vite un habitué, je refais le monde auprès de passants, de piliers dont je ne connais rien mais qui ont la parole facile, qui se confient sans pudeur, qui me donnent une partie de leur vie…

Allez, encore un verre, que la vie coule à flots ; dis loufiat, sers-nous encore un blanc-cass, un communard, mets-nous de la bière d’alsace sans faux-col, encore, encore ; un œuf dur avec du sel, le cendrier est plein ; ne nous laisse pas repartir sur trois pattes et, au petit matin, sers-nous donc un p’tit noir avant de nous pousser dehors que nous allions au turbin, nous reviendrons ce soir !
Nous croisons les clowns pas encore démaquillés qui sortent de leur cirque et viennent achever leur suicide nocturne, tous les clowns sont tristes, je confirme, tristes et seuls... J’en connus un, un nain (on dirait maintenant un homme de petite taille), qui était toujours tellement mal luné que la patronne le surnommait Jean de la Lune ! Ses propos et ses larmes allaient à l’inverse de son sourire maquillé en blanc autour de ses lèvres et de ses sourcils aux traits noirs en forme de rires et de cœurs...

3/Rétroviseur ( Pépé )

Pépé avait mis son plus bel uniforme de Garde Républicain.
Nous sommes dans les années 1930 et il vient de quitter son Ariège natale pour monter travailler à Paris tant sa région d’origine est pauvre, il a par ailleurs besoin et envie de servir l’État...
Un jour donc , depuis sa caserne à République, il arpente la ville et remonte la rue de Ménilmontant... La pente est raide mais il a un bon pas de montagnard et il avance assez vite ; une voiture à cheval pleine de tonneaux le double, les chevaux vont aussi à bon pas, ils ont pris de l’élan pour remonter plus vite... Un bruit de plus en plus fort s’annonce alors, les roues de la charrette glissent sur les pavés ; ce sont à la fois les chutes du Zambèze et du Niagara, le vacarme assourdissant envahit toute la rue... La charrette se lance dans une course folle et descendante, les chevaux au galop s ’enfuient vers le haut... La carriole monte sur le trottoir, finit par se caler, se coincer contre le mur des maisons ; Pépé se retrouve écrasé entre les tonneaux et le mur... Il en ressort avec la cage thoracique enfoncée et 6 côtes cassées... Il ne s’en remettra jamais tout à fait et cet accident à Ménilmontant est à l’origine de son retour anticipé dans sa montagne ; n’ayant pas évolué assez vite dans son métier militaire, il fut contraint de retourner en Ariège et de compléter sa maigre retraite prise tôt par son travail en agriculture : un jardin, quelques volailles, une mule, un cochon qu’il partage avec son frère et, durant la deuxième guerre mondiale, une vache pour le lait !

Sa vie du coup fut beaucoup plus dure, même si au fond il y fut plus heureux ; il faut dire que Mémé n’était bien que dans son village d’origine...

Papa lui en a toujours un peu voulu de l’avoir empêché plus tard d’embrasser la carrière militaire tant il était en rage contre cette institution. Papa a donc du être d’abord instituteur et n’a pu entrer dans l’armée plus tard que par la petite porte !

Eux deux ont dû longtemps détester Ménilmontant... Chaque fois que je me promène dans cette rue, j’ai une pensée pour eux deux, aujourd’hui disparus...

4/Knockin’on Heaven’s door !

Dans les années 2000, je réintègre la Ville
Je ne loge pas très loin de Belleville
Au bout des boulevards bien vivants
Les premiers flots de Ménilmontant
Caniveaux chantants et plein d’oiseaux
Aux abords du Père Lachaise
Où dorment bien des musicos
Des amis des poètes ne vous déplaise
Que l’on croise dans tous ces bistrots
Les guitares les voix et les rêves
Inondent pour longtemps nos âmes
Jamais un jour de grève
Des bons mots de la bière de jolies femmes
Des larmes de joie de bonheur
Au fond des caves quelle que soit l’heure
Rencontres inattendues
De gens comme on n’en fait plus
Des voix rockn’rolleuses reprennent
En chœur leurs superbes rengaines
Qu’elles partagent avec appétit
Au milieu de leurs amis d’un jour
D’un soir ou de toute une vie
Paroles remplies d’amour
Et qui goulûment donnent l’envie
Toujours très difficile
De quitter cette île
Et d’accoster au dehors
Le monde à moitié mort !

Christian Portet

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