COVID-19

Du premier café au dernier calva

De Christian Paccoud

Publié le mardi 29 septembre 2020

Un bar n’est pas qu’un commerce. Bien sûr, on y vend des boissons. Alcoolisées ou non. Bien sûr, il y a un patron qui gagne de l’argent et des serveurs et serveuses qui touchent un salaire. Bon… oui… mais mais mais, c’est aussi « l’endroit » où les âmes se causent et où les peines s’apaisent.

Le bistrot est un théâtre à cœur ouvert. On y parle un langage différent. On y entre comme on entre en scène en laissant derrière soi le « paraître » qui nous déguise et nous fait nous fondre dans le moule de notre société. Le bar est posé là, dans nos vies, qui nous ouvrent les bras quand ça déborde dans la tête. On peut y déverser sa mauvaise foi, exagérément, à coup de mensonges ou d’utopies. On y rencontre des inconnus qu’on ne verra plus jamais à qui l’on dira tout, même l’indicible…

Les comptoirs en savent plus sur nos haines et nos malheurs, sur nos espoirs et sur nos joies que n’importe quel psy. Ils sont le confessionnal des athées. Le parloir des humiliés. Parfois on y fait même pénitence !

La bière y délie les langues et les rancœurs s’écoulent dans des flots de rires ou des coups de gueules. C’est le sas nécessaire entre les heures de travail et le retour à la maison. Du premier café du matin jusqu’au dernier verre de calva.

C’est, messieurs les exploiteurs, grâce aux bistrots que vous êtes encore vivants ! Ce sont les tournées fraternelles, les pintes de bières des apéros, les verres trinqués à la santé des cons qui nous aident à tenir le coup sous le joug des humiliations quotidiennes que vous nous imposez.

Prenez garde, à trop fermer les bars, la machine humaine va se mettre en marche et vous ne pourrez plus la contrôler. Elle ne sera pas en quête de chiffres mais en quête d’amour, et de l’amour, malheureusement, vous n’en n’avez pas en stock !

Quand vous fermez un bar, même à 22h vous fermez la parole, vous tuez dans l’œuf des opinions pertinentes, vous brisez les rêves quotidiens, vous faites s’accumuler la grogne, vous souillez la fraternité, vous éteignez les dernières lueurs de joie, vous enfumez l’espérance, vous faites courber la tête des petites gens, vous laissez sur le seuil les paumés du quartier qui y trouvaient un peu de chaleur avant d’aller dormir dehors, vous cassez les jambes des danseurs, coupez les cordes vocales des indignations et par là même vous tendez le bâton qui va vous battre.

Les problèmes ne sont pas dans les verres du bistrot, ils sont dans les règles de vie que le monde nous inflige. Une conversation n’est pas un geste tactile, les échanges d’idées ne sont contagieuses que par la pensée. C’est sans doute cette « crise » de parole qui vous fait peur, plus que la crise sanitaire….

Voir en ligne : Christian Paccoud sur FB

Partagez :
Publier un commentaire
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici